CONTACT

 

L'immense sphère occupait la moitié de la baie vitrée, cachant le spectacle familier du
vide parsemé d'étoiles. Les couleurs bleues, vertes et blanches de la planète semblaient
irréelles. Difficile de croire que cette boule avait été le berceau de l'humanité quelques
millions d'années plus tôt La moitié de l'équipage du Vaisseau, agglutinée dans la salle
d'observation, contemplait bouche bée ce que près de cinquante générations n'avaient plus pu
voir. Et bientôt allaient-ils pouvoir marcher à la surface de ce caillou gigantesque, comme le
faisaient leurs lointains ancêtres
Dans un coin de la salle, l'archiviste du Vaisseau se demandait à la vue des terres
ressortant des masses bleues des océans à quel point l'aspect de la planète vue de sa surface
différerait des images stockées dans les banques de données, datant de plus d'un millénaire
plus tôt. Et surtout, il se demandait qu'étaient devenues les nombreuses peuplades qui avaient
vécu là. Comment avaient-elles supporté le cataclysme dont personne n'était en mesure de
comprendre la nature ? Tout ce qu'en savait l'archiviste, c'était ce qu'il avait pu tirer des
informations laissées par ses prédécesseurs, c'est à dire pas grand chose Pendant près de
quatre cent ans, les machineries automatiques avaient continué à marcher sans qu'aucune
intervention humaine ne soit enregistrée ; aucune chronique n'avait été tenue, et seuls les
ordinateurs avaient continué à compter les heures, les jours, les années, en notant par moment
dans leurs comptes rendus quelques anomalies dans leur fonctionnement ou quelques avaries
dans les machineries, et jamais aucun humain ne s'était occupé des réparations. Pendant ces
quatre siècles passés sans intervention humaine, les senseurs avaient noté l'orbite décrite par
le Vaisseau dans son errance, aussi peu maître de son chemin qu'un vulgaire astéroïde. Il était
étonnant que cette orbite n'ait pas plus croisé celles d'autres corps errants, ou même celle
d'une des treize planètes du système solaire. Quoiqu'il en eut été, le Vaisseau avait décrit
vingt sept révolutions autour de l'astre solaire, soit environ un tour du soleil tous les quinze
ans, avant que le premier message humain puisse être répertorié sur la banque de donnée
principale.
C'était un message obscur, les mots utilisés ne semblant pas tous suivre une logique
bien précise. Malgré près de six siècles d'étude acharnée, tout ce qui avait pu en être tiré était
que l'auteur demandait quelque chose de bien précis à un certain 'Maître' qui semblait le
remplir d'un respect avoisinant la crainte Personne ne put trouver ailleurs une quelconque
autre allusion à ce Maître, et l'on en avait conclu qu'il devait s'agir du chef de l'époque.
Quant à pourquoi la personne avait formulé cette demande par l'intermédiaire d'un
ordinateur, cela restait un mystère complet
- PREMIERE EQUIPE AU HANGAR ! DEPART DANS CINQ MINUTES !
La voix du communicateur sortant des haut-parleurs tira l'archiviste de ses
divagations. Il faisait partie de la seconde équipe qui descendrait sur la planète, car les
connaissances qu'il avait acquises par l'étude des archives du Vaisseau le posaient comme
spécialiste de tout ce qu'ils pourraient trouver sur le berceau de leur civilisation. La première
équipe, ouvrière, avait pour mission d'établir un campement de base, où ils pourraient loger,
eux-mêmes ainsi que les scientifiques de la seconde équipe. La masse de travail que cela
représentait était énorme, et la première équipe allait s'occuper de tout en une simple journée.
Mais ils avaient été entraînés pour cette mission : cela faisait maintenant trois ans qu'ils
passaient le plus clair de leur temps dans des simulateurs, à entraîner leurs corps à supporter la
pesanteur terrestre, de façon à ce que leurs pauvres os ramollis depuis des générations par des
siècles passés en apesanteur ne soient trop fragiles pour les porter L'archiviste tenta de
s'imaginer ce que pourrait être une vie entièrement régie par la pesanteur : cela lui semblait
tout à la fois magique, effrayant et foutrement pas pratique ! Habitué depuis sa naissance à
flotter dans l'atmosphère artificielle du Vaisseau sans réelle notion de bas et de haut, avec
pour seule expérience de la pesanteur les quelques poussées qu'avait effectué le Vaisseau
pour son grand retour vers la planète bleue, ainsi que les heures passées dans le simulateur, il
avait encore du mal à appréhender la sensation que devait procurer la vie en surface
- DEPART !
De nouveau, l'annonce laconique fit sursauter l'archiviste en pleine rêverie. Ca y
était ! La première équipe était partie en direction d'un lieu jadis appelé 'Paris', où d'après les
archives du Vaisseau, un abri gigantesque avait été construit en prévision du cataclysme qui
allait s'abattre sur l'humanité Comme partout sur la planète quoique ait été ce
cataclysme, les hommes d'alors avaient été en mesure de le prévoir bien des années à
l'avance et de tenter de s'en protéger ! L'abri de Paris, nommé Abris Nord Terra, avait été
choisi pour son accessibilité plutôt que pour son importance. Ce n'était pas le plus grand de la
planète, loin s'en fallait, mais l'orbite géostationnaire la plus pratique et la moins coûteuse
pour le Vaisseau l'avait amené presque juste au-dessus de la région, et vouloir atteindre un
lieu du globe plus éloigné aurait été un gaspillage d'énergie : n'importe quel abri aurait fait
l'affaire, car si celui-ci n'avait pas permis la survie de sa population, un plus grand n'aurait
pas été plus efficace
Par l'immense baie vitrée, il put voir apparaître la navette trapue qui effectuerait tous
les voyages entre le Vaisseau et la planète. Elle rapetissait rapidement, poussée par ses quatre
réacteurs à énergie solaire vers sa destination terrestre. Bientôt, elle ne fut plus qu'un point sur
la surface blanche de la nappe de nuages recouvrant leur destination. L'archiviste décida qu'il
était temps qu'il retourne aux préparatifs de son séjour prochain sur la planète Il avait
encore du mal à réaliser que cela se produirait moins de vingt-quatre heures plus tard.
D'une secousse du bras, il fit pivoter son corps dans le vide et, en frappant la paroi de
ses pieds joints, se propulsa vers la sortie de la salle d'observation Cela allait lui faire
vraiment bizarre de changer de mode de déplacement. Flottant dans les coursives en quête de
l'ascenseur le plus proche, il se remémora tout ce qui lui restait à accomplir avant son départ :
vérifier encore une fois ses vêtements et son équipement, finir d'expliquer à l'homme qui
allait le remplacer durant son absence comment il avait organisé son système d'exploitation
des archives du Vaisseau et, c'était là le plus important, effectuer le transfert des données qu'il
avait jugé utile d'emmener avec lui de la banque de donnée vers un petit terminal 'de poche'
qu'il pourrait consulter à tout moment une fois à la surface.
Arrivé à ses appartements, il y trouva son successeur qui l'attendait avec impatience,
pressé de parfaire sa maîtrise des terminaux de la banque de donnée centrale. L'archiviste alla
donc d'abord s'acquitter de son devoir de formation, ce qui prit peut de temps car l'apprenti
était vif et connaissait presque tout ce qu'il avait à savoir. Puis il retourna à son logement pour
effectuer les vérifications qu'il lui restait à accomplir. Finalement, il alla chercher un mini-
ordinateur au stock de sa section et parcouru pour la troisième fois en deux heures les
coursives menant à la salle de terminaux qui lui était assignée. Une fois qu'il eut lancé le
transfert des données qu'il avait depuis longtemps sélectionnées, il prit conscience qu'il
n'avait plus rien à faire jusqu'au lendemain Il ne pouvait plus manger, car cela ferait
grimper ses chances de rejeter toute nourriture sous le choc de la pesanteur... Il n'allait pas
non plus revérifier ce qui l'avait déjà été une bonne vingtaine de fois, et pas que par lui... Et
dans l'état d'excitation où il se trouvait, il aurait bien du mal à dormir pendant tout un cycle ;
il aurait même de la chance s'il parvenait à fermer l'il d'ici le départ.
Il se décida pour la lecture. D'une frappe experte sur le clavier, il appela l'objet de la
mission, pour se le remémorer dans ses moindres détails encore une fois. Une collision
avec un vagabond spatial ayant détruit irrémédiablement une bonne partie du système de
recyclage et évaporé trois des quatre réservoirs à matière nécessaires à la survie de la
population du Vaisseau, il avait été calculé que celle-ci ne pouvait pas compter survivre au-
delà de quatre années Après réparation, le système de recyclage n'était pas en mesure de
fonctionner de manière optimale, et les légères déperditions de matière brute occasionnées par
ce dysfonctionnement ne pouvait, même malgré des restrictions strictes, faire durer le dernier
réservoir plus longtemps que ce délai. Les calculs démontrèrent que l'action la plus rapide et
économisatrice était d'effectuer le voyage jusqu'à la Terre, où chaque abri construit en vue du
cataclysme possédait un dispositif de recyclage semblable à celui du Vaisseau. Là, il suffisait
qu'une équipe entraînée à cet effet descende à la surface et se procure chez la population
locale le nécessaire au remplacement du système défectueux. Vu que le cataclysme était passé
depuis près de six siècles, les abris ne devaient plus servir à rien sur la vieille Terre, et le
prélèvement du dispositif ne devait nullement gêner les Terriens, qui avaient à leur disposition
des champs fertiles où tirer leur subsistance, ce qui n'était pas le cas de la population du
Vaisseau. Si, malgré tout, il n'était pas possible de transplanter les organes manquants, alors
ils auraient à leur disposition l'aide des habitants de la surface et les ressources quasiment
inépuisables de la planète pour reconstituer à partir de rien tout ce qui leur manquait.
Ces hypothèses et ces plans avaient été pensés il y avait de cela trois ans Trois
longues années de rude préparation à cette fameuse pesanteur qui allait tant compliquer leur
tâche. Les réacteurs avaient été sollicités jusqu'au seuil de leurs capacités affaiblies, de façon
à ce que le voyage dure le moins possible. Et maintenant, ils étaient arrivés : le contact avec
les Terriens allait être fait, après plus d'un millénaire de séparation. Et l'archiviste allait avoir
l'immense privilège, ainsi que ses quarante-neuf compagnons de voyage, de vivre une
expérience qu'aucun des quelques six milles habitants du Vaisseau ne serait en mesure de
partager Le lendemain, il allait enfin découvrir ce à quoi trois années d'exercice quotidien
l'avaient préparé

***

- Réveillez-vous, archiviste Randall ! Votre départ est proche.
La tête engourdie, les yeux encore lourds de sommeil accumulé, l'archiviste se sépara
lentement de sa console, et se passa lentement la main sur le visage, tentant vainement de se
débarrasser des petites pointes de douleur qui parsemaient le côté qui avait reposé trop
longuement contre la surface métallique. D'une voix pâteuse, il s'enquit du temps qui lui
restait à la personne qui avait eu l'impolitesse de le réveiller.
- Deux heures, monsieur, lui répondit une jeune voix enthousiaste.
C'était peu. Trop peu pour que l'archiviste le prenne sereinement. La poussée
d'adrénaline finit de le réveiller complètement. Il se défit rapidement du harnais qui le
maintenait solidaire au siège et se tourna vers le jeune cadet chargé de son réveille. Celui-ci
semblait ravi d'avoir pu approcher l'un des membres de l'expédition, et paraissait près à
accomplir la moindre tâche qui lui serait assignée, pourvus qu'elle lui permette de rester en
présence de la légende vivante. Randall s'empressa de le satisfaire, heureux d'avoir quelqu'un
pour l'aider à revêtir l'encombrante combinaison de vol et d'apporter toutes ses affaires au
hangar, tâches qu'il n'aurait pu vraiment bien accomplir seul à cause de son excitation.
L'immense espace que constituait le hangar de sortie grouillait déjà de monde voletant
de ci de là, saluant les voyageurs, leur signifiant tous les espoirs qu'ils emportaient avec eux,
ou tout simplement pour voir le spectacle que constituerait le second départ du transport. En
une heure, tout fut près, et les vingt cinq membres scientifiques de l'expédition attendaient,
chacun harnaché à son hamac comme si le départ était pour les minutes suivantes La
tension qui régnait dans l'habitacle était insoutenable, et pas un ne parlait. Tous étaient plongé
dans l'anticipation des événements qui allaient suivre, se remémorant ce qu'ils auraient à faire
une fois que le transport se serait immobilisé sur le sol de la planète. Parfois, les regards se
croisaient, mi-souriants, mi-grimaçants, et pour l'ensemble terrorisés.
L'heure finit par passer, et après quelques messages et le rapide compte à rebours, ils
furent tous tirés vers l'arrière du transport alors que le chariot d'amarrage propulsait le
véhicule hors du hangar, hors du Vaisseau, hors de tout territoire connu Deux secondes
passèrent, et une nouvelle secousse les balança sur le côté, pendant que les propulseurs
corrigeaient la trajectoire du transport en direction de la planète mère. De nouveau, la
quiétude de l'apesanteur reprit ses droits et la voix rassurante du pilote se fit entendre :
- Il vous reste vingt minutes de répit, les gars ! Profitez-en ! Et admirez donc la vue
superbe que nous offre cette boule de roche et d'eau
Et à peine eut-il dit cela qu'une image holographique apparut au centre de l'habitacle,
représentant la Terre et ses couleurs éclatantes sous la lumière du soleil. Au-delà, timidement,
apparaissait un pâle croissant de Lune, frêle vierge semblant vouloir se cacher des ardeurs du
Soleil et des hommes derrière la masse rassurante de la placide Terre mère. La fidélité de
l'image ne permettait pas de transmettre la majesté de la scène dans sa totalité, manquant
principalement à montrer le vide infini de l'espace omniprésent, mais la vision de la planète
gigantesque se rapprochant petit à petit suffisait à retenir le souffle de tous les voyageurs.
Bientôt, ils allaient être en mesure de voir par leurs propres yeux toutes les merveilles que
pouvait offrir ce fabuleux astre, sans avoir besoin de l'intermédiaire d'une machine pour en
retranscrire les images

***

Le transport était ballotté en tout sens, donnant à ses passagers l'impression qu'un
géant s'en était emparé et qu'il s'en servait comme d'un hochet. On avait beau l'avoir avertit,
Randall ne s'était pas imaginé la violence des cahots que ferait le transport en pénétrant
l'atmosphère de la Terre. Vu de la surface, il le savait, ils devaient offrir un spectacle
impressionnant, véritable boule de feu se dirigeant vers le sol à une vitesse défiant
l'imagination. L'archiviste avait du mal à ne pas croire que la navette allait se disloquer dans
l'instant. Il eut également toutes les peines du monde à se persuader que le hamac élastique
auquel il était harnaché avait été conçu spécialement pour résister à pareille force, et qu'il
n'allait donc pas se déchirer pour le laisser s'écraser misérablement sur le fond de l'habitacle.
La voix du pilote se fit vaguement entendre, mais les paroles étaient mangées par le
grondement presque tangible qui régnait dans le transport, et le sens de cette tirade échappa à
tous les passagers. Randall espéra ardemment qu'il s'agissait de l'annonce de la fin du
voyage : une minute de plus à ce régime et il n'était plus sûr de contrôler ses réactions Son
vu fut heureusement exaucé, car quelques instants plus tard, une grande secousse annonçait
le retournement de la navette en position de vol intra-atmosphérique et un calme relatif
s'installa.
- Nous y voilà, Mesdames et Messieurs ! Atterrissage dans oh ! Deux bonnes
minutes. Ca ne secouera pas trop, promis.
L'archiviste se prit à tenter d'évaluer l'importance que prenait la formule 'pas trop'
pour le navigateur Peut être qu'avec un peu de chance, ils lui donnaient tous deux la même
signification Raté : le grondement et les secousses reprirent, alors que les réacteurs
donnaient une dernière poussée de freinage et que la navette se posait ni gracieusement ni
légèrement sur le sol de la planète. Les hamacs élastiques continuèrent à se balancer un
moment dans l'habitacle enfin stable. Tous les bruits, grands ou petits, qui les avaient
assourdis tout au long du voyage, se turent enfin, laissant la place à quelques craquements et
sifflements caractéristiques de machines prenant enfin un peu de repos après un effort
échauffant.
- Yahooo ! Ca c'est du vol ! Alors nous y voici. Dehors, il fait beau, l'herbe est verte,
le ciel est bleu, et il règne un luxueux douze degrés : un vrai climat tropical ! Chers passagers,
la planète est à vous !
Sur ces paroles, le battant du sas s'ouvrit dans un sifflement de pistons et d'égalisation
de pression, propageant une odeur d'ozone et de métal chauffé à blanc. Un flot ininterrompu
de techniciens s'engouffra dans l'habitacle pour libérer les voyageurs de leurs prisons
extensibles. Randall, las d'attendre son tour, allait tenter seul de se défaire de son
harnachement quand un grand gaillard en treillis bleu se précipita vers lui pour le freiner dans
sa hâte. D'après lui, il valait mieux y aller doucement et avec l'aide de quelqu'un, car il fallait
quelques minutes, même à quelqu'un d'entraîné, pour s'habituer à la pesanteur terrestre.
Sauter d'un hamac pour s'écraser au sol, faute de réponse adéquate des muscles, n'était pas la
meilleure des façons de commencer un premier contact avec la planète mère.
Après quelques pas maladroits effectués en s'appuyant sur son aide, les réflexes acquis
pendant trois années d'entraînement en simulateur lui revinrent peu à peu, lui permettant de se
diriger tant bien que mal, mais seul, en direction du sas. L'impression, désormais familière
grâce aux simulations, que toute force du corps était aspirée par le sol revint ; Randall s'en
serait volontiers passé Il traîna avec peine sa carcasse devenue lourde jusqu'à la passerelle
de sortie
Et s'y arrêta, bouche bée devant la vue du paysage environnant le lieu de l'atterrissage.
Tout n'était que couleur, mouvement et bruit, contrastant de manière fulgurante avec le
monde gris et mort du Vaisseau et de l'espace en général : des oiseaux voletaient en
gazouillant ; une rivière, quelque part, gargouillait joyeusement et reflétait par scintillement la
chaude lumière du soleil ; des nuages épars flottaient paresseusement dans le ciel azuré ; des
arbres en bosquets bruissaient sous la brise en susurrant une invite aux voyageurs de venir se
rafraîchir sous leur ombre ; une multitude de senteurs et d'effluves traînaient dans l'air frais,
chatouillant des narines habituées jusque là à une fade atmosphère recyclée, vieille d'un
millénaire et même plusTout reflétait un décor paradisiaque, tout regorgeait de vie : c'était
là qu'elle était apparue !
Il aurait pu y rester immobile indéfiniment, à contempler un monde qui n'avait rien à
voir avec tout ce qu'il avait connu, et dont les images d'archives ne pouvaient rendre la
beauté, mais une voix le héla, une note d'impatience transparaissant dans son ton joyeux de
circonstance.
- Randall, enfin vous voilà ! Si vous saviez ce que vous nous avez manqué, depuis
hier !
C'était Cartis, l'homme qui avait été nommé à la supervision du campement. Il
attendait en bas de la passerelle, et semblait avoir attendu là depuis toujours. Il laissa
l'archiviste descendre à pas lents et circonspects les quelques mètres les séparants, puis il lui
passa un bras autour des épaules afin de l'aider à avancer un peu plus vite.
- Nous avons un problème que vous pourrez sûrement régler, reprit-il de sa voix de
baryton, alors qu'ils s'approchaient petit à petit des baraquements préfabriqués qui
constituaient le campement. Nous n'arrivons pas à communiquer avec les indigènes : aucun
de nous ne connaît la langue qu'ils emploient. Mais vous, vous avez étudié presque toutes les
anciennes langues européennes, vous devriez bien vous faire comprendre !
Randall s'arrêta, stupéfait :
- Mais Vous avez déjà eu un contact avec les Terriens ? Nous n'étions pas censés le
faire avant avant longtemps !
- Si vous croyiez qu'ils n'allaient pas accourir à la vue d'une colonne de flamme
tombant du ciel dans un grondement d'apocalypse Mais hâtez-vous, dans la mesure du
possible : ils n'arrêtent pas de nous poser des questions qui ont l'air d'avoir une importance
cruciale à leurs yeux.
L'injonction de se dépêcher était superflue, la pensée de communiquer avec des
autochtones était suffisante pour donner des ailes à l'archiviste, qui s'élança en direction des
baraquements dans une course boiteuse entrecoupée de cahots peu harmonieux. Il fut
rapidement suivit par Cartis, qui s'empressa de lui redonner le bras pour le soutenir.
- Marchez dignement, Randall ! Vous ne voudriez pas donner mauvaise impression à
nos lointains cousins ? Et sur ces paroles ils entrèrent dans le campement, où les attendait le
comité d'accueil local

***

L'archiviste Randall, récemment baptisé par ses compagnons le Linguiste, frappa de
frustration sur la table où reposaient quelques feuilles et son ordinateur de poche. Cela faisait
maintenant près de dix heures qu'il tentait vainement de faire concorder le langage des
Européens actuels avec les anciennes langues connues par le terminal. C'était comme si leur
langue était issue du néant, sans aucune relation avec le français, l'anglais, l'allemand ou tout
autre moyen de communication pré-cataclysmique. Sans doute les survivants avaient-ils fait
table rase et crée de toute pièce un langage nouveau, ou peut-être avaient-ils subit une période
sombre pareille aux quatre siècles d'obscurantisme qui avaient plongé le Vaisseau dans le
chaos. L'écriture non plus ne correspondait à rien de connu : Randall avait réussit, par geste, à
demander à l'un des indigènes d'écrire la question qu'ils semblaient répéter inlassablement,
afin de pouvoir l'étudier et la comprendre, mais Les lettres traçaient des arabesques qui
avaient été crées, visiblement, dans un souci d'élégance plus que pratique, alliant courbes et
petits traits fins, avec parfois des cercles apparaissant au côté de certaines lettres. La
comparaison entre les discours enregistrés et les documents écrits lui avaient permis de
reconnaître quel son était associé à quel cryptogramme, mais le fait que certaines formes
puissent représenter différents sons, suivant les petits traits et cercles qui lui étaient accolé, ne
rendait pas la tâche aisée. Il était normal qu'une langue mute avec le temps : les habitants du
Vaisseau eux-mêmes parlaient un mélange de plusieurs langues terriennes, principalement
l'anglais, le français et le russe. Mais une langue mutée gardait toujours quelques similitudes
avec les langages souches dont elle était issue.
Exaspéré, Randall décida d'aller faire une nouvelle tentative de communication avec
l'un des trois indigènes qui étaient restés au campement pour la nuit. Les autres étaient
repartis là d'où ils étaient venus. Il avait été prévu qu'une expédition partirait pour l'abri le
lendemain, ce qui était à peu près la direction prise par les autochtones ; cela avait motivé la
décision de ne pas les suivre tout de suite et de plutôt se concentrer sur le fignolage du
campement.
Le Terrien se trouvait au site d'atterrissage et contemplait l'immense carlingue du
transport ternie par la chaleur de l'atterrissage. En s'approchant par derrière, l'archiviste ne
put s'empêcher de dévisager encore une fois l'indigène : il était grand, d'une corpulence
moyenne et d'une musculature impressionnante pour quelqu'un qui aurait été forgé par une
vie de légèreté dans l'espace, mais qui semblait normale pour un habitant de la Terre, en tout
cas d'après l'échantillon qu'avait pu observer Randall. Ses cheveux sombres, à la lumière des
projecteurs de la navette illuminant les alentours, possédaient un éclat bleuté des plus
déroutant, sans doute dû à quelque teinture Ils descendaient sur ses épaules en cascades
plus ou moins désordonnées, mais qui donnaient dans l'ensemble un effet non dénué d'un
certain style. Ses habits étaient faits d'une étoffe légère aux couleurs vives, principalement
dans les tons rouges et bleus, et à la découpe ample et pratique. Ils différaient beaucoup
d'aspect avec les vêtements gris des Spatiaux, semblants peu résistants. Mais ce qui déroutait
le plus, chez cet individu ainsi que sur tous les autres Terriens qui étaient venu au site
d'atterrissage, c'était les oreilles. Le pavillon s'évasait un peu vers le haut pour finir en une
pointe douce qui saillait par-dessus la chevelure, comme de courtes et épaisses antennes de
chair. Ce trait de physionomie avait rappelé quelques documents des archives à la mémoire de
Randall : une multitude de textes, romans et autres contes de l'époque ayant précédé la
colonisation des différents corps célestes du système solaire faisaient état de créatures
nommées elfes La description ne correspondait pas toujours, mais l'archiviste ne pouvait
s'empêcher de faire le rapprochement.
Il s'éclaircit la gorge pour signifier sa présence, et attendit que le Terrien se fut
retourné pour commencer sa pantomime visant à faire comprendre ses pensées, tout en parlant
de manière lente et articulée, en espérant que cela pourrait être d'une quelconque aide pour la
compréhension mutuelle.
- Je ne comprends pas ce que vous dites ou ce que vous écrivez. Vous ne comprenez
pas ce que nous disons ou écrivons, et vous ne comprenez pas non plus le français ou
l'anglais Alors nous allons tenter de nous faire comprendre par geste, hein ? J'aimerais
savoir si tu connais l'abri, L'Abri Nord Terra. Est-il encore en service ?
- Labri Nortera ? Kami ? Kami dea Antera ?
Le Terrien semblait comprendre qu'il s'agissait de l'abri, car il accompagnait ses
paroles mystérieuses d'un geste indiquant un mouvement dans la direction de l'abri et le
ponctuait par la répétition du mot Antera, sans doute une contraction du nom originel de
l'abri. Son geste semblait inviter Randall et ses compagnons à voyager en cette direction, et
cela sur un mode quelque peu impératif. C'était là apparemment le sens de cette phrase qu'ils
n'arrêtaient pas de répéter depuis le début, et qui semblait pourtant si facile à comprendre,
maintenant. Le visage du Terrien reflétait l'espoir d'être compris et écouté : il semblait
vouloir accompagner les voyageurs vers l'abri sans délai, comme s'il était capital qu'ils
voient le lieu le plus tôt possible.
Interpellant un technicien travaillant sur le transport sous la lumière artificielle des
projecteurs, l'archiviste lui demanda où se trouvait Cartis, fit signe à l'indigène de le suivre et
s'élança en claudiquant dans la direction indiquée, suivi sans peine par l'elfe Il ne pouvait
s'empêcher de se le nommer ainsi. Le superviseur du campement, et par extension de toute
l'expédition, se trouvait au centre des baraquements, en donnant des directives à cinq hommes
encastrés dans des machines porteuses, appelées marcheurs, qui permettaient de pallier la
force humaine défaillante par des pistons. Ils finissaient de décharger la cargaison du
transport, principalement des outils et autres fournitures pouvant s'avérer utiles dans leur
entreprise.
- Hé ! Cartis ? Laissez donc ce que vous êtes en train de faire et rapprochez-vous ! Je
crois avoir compris ce qu'ils nous veulent

***

Randall contemplait silencieusement le décor, illuminé par la pâle lueur de la Lune,
défiler autour de la plate-forme à répulsion gravifique. Ses cheveux, coupés courts comme les
chevelures de tous les habitants du Vaisseau pour des raisons de commodité (car les cheveux
longs constituaient une gène assez importante en apesanteur) s'agitaient dans le vent
soufflant rageusement. Ils survolaient la plaine depuis quelques minutes en direction de ce qui
ne pouvait être autre chose que ce fameux Abri Nord Terra, bien que son nom ait muté au fil
des ans en Antera. Les cinq autres passagers de la plate-forme observaient de manière tout
aussi absorbée que l'archiviste un décor qui semblait si différent la nuit de ce qu'il avait paru
à la lumière du soleil, spectacle d'autant plus étrange que, à bord du Vaisseau, le jour et la
nuit n'existaient pas ; seuls les cycles de repos, artificiellement instaurés pour assurer un
rendement maximum, rythmaient la vie dans l'espace
Ils avaient décidé de partir dés que l'installation du campement serait terminée. Les
elfes, comme il était maintenant répandu parmi les étrangers venus de l'espace de les appeler,
avaient semblé de plus en plus pressés que la visite à l'abri se fasse. Exténué, et n'ayant rien
d'autre à faire que dormir, après qu'il eut accepté de ne pouvoir rien comprendre d'autre que
cette invitation énigmatique, Randall avait dormit durant presque toute la deuxième journée,
alors que les techniciens finissaient de tout mettre en place. Ils s'étaient ensuite, le soir venu,
répartis en trois groupes qui partiraient en direction de leur but à bord des trois plates-formes
RG. Elles avaient été conçues d'après les plans contenus dans les archives expressément pour
la mission de récupération. Ils emmenaient avec eux trois marcheurs, qui seraient bien
pratique pour transporter les lourdes pièces nécessaires au système de recyclage ainsi que les
réserves de matière supplémentaires.
Sur chaque plate-forme, un elfe avait été assigné afin de guider les voyageurs, mais ils
passaient plus de temps à s'émerveiller de la rapidité à laquelle se déplaçaient les engins qu'à
indiquer le chemin, ce qui, de toute façon, aurait été superflu : leur course avait croisé une
large piste de terre battue, pouvant être prise pour une route, qui menait dans l'ensemble dans
la direction désirée.
Les trois véhicules grimpaient maintenant une petite colline bordée de chaque côté par
une forêt sombre. Randall avait aperçut quelques instants plus tôt une pierre taillée dressée sur
le bord de la route, et sans doute y était-il inscrit quelque chose, mais la faible clarté diffusée
par la lune n'avait pas suffit à permettre d'en distinguer les détails. Plongé dans une
méditation spéculative quant à la nature de la pierre levée, l'archiviste n'avait plus prêté
attention au décor qui défilait, et ce furent les exclamations de ses compagnons qui le tirèrent
de sa réflexion : passé la colline, la route redescendait en serpentant en direction d'un large
bassin dont le centre était occupé par une cité tentaculaire. Elle s'étalait sur les terres comme
une bulle de glu, projetée à vitesse réduite en pleine apesanteur, se serait répandue sur une
paroi. D'après ce qu'il en voyait, Randall estima qu'une vingtaine de Vaisseaux aurait pu s'y
tenir sans gêne Et le Vaisseau était gigantesque ! Il se prit à évaluer le nombre d'habitant
que devaient abriter toutes ces bâtisses illuminées, semblait-il, par la lueur de feux. Peut-être y
vivait-il cent milles âmes ? Peut-être plus Habitué à parcourir des coursives désertes, à
peine occupées par quelques six milles hommes et femmes alors qu'elles avaient été conçues
pour une population dix fois plus grande, l'archiviste commença à suffoquer en pensant à
toute la foule que cela devait représenter.
Ils étaient maintenant arrivés assez près des premières bâtisses pour en distinguer les
détails, tels que les portes et les fenêtres, les pierres dont les murs étaient faits, les tuiles plates
des toits, dont la couleur variait par quartiers Un son grave et profond retentit, qui rappela à
Randall un enregistrement des archives intitulé cor de brume. Il devait s'agir de l'annonce de
leur arrivée par les guetteurs. Très rapidement, les rues se remplirent d'une foule compacte
qui regardait passer les voyageurs sur leurs plates-formes flottantes. Les pilotes avaient réduit
la vitesse de manière à écarter tout danger de collision, et il était donc possible d'observer
attentivement d'un côté comme de l'autre. Les habitants de la ville avaient tous des oreilles
d'elfes, mais pour le reste, il régnait une disparité d'apparences telle, qu'il semblait
impossible de pouvoir tous les classer en une seule race. Les couleurs des yeux et des cheveux
possédaient une gamme de couleur si étendue, que Randall commença à douter qu'une
quelconque mode puisse en être la cause. Par contre, leur attitude à tous était absolument
identique : silencieux, immobiles, ils regardaient passer les trois véhicules avec un regard
empli de respect et de guaieté, comme s'ils voyaient des personnes disparues de longue datte
revenir après que tout espoir de les revoir eut disparu ce qui était d'une certaine manière le
cas.
A l'entrée de la ville, les trois guides avaient perdu leur comportement de gamins
émerveillés par la technologie pour revenir à leur rôle premier, qu'ils jouaient de manière
théâtrale devant le peuple rassemblé. Randall décelait dans leur attitude une arrogance vis-à-
vis de la foule ce qui semblait signifier leur appartenance à une élite, attachée à l'accueil des
étrangers venus du ciel. Les trois elfes désignaient maintenant aux pilotes les rues à suivre, les
chemins à prendre, et c'est au bout d'une quinzaine de minute de flottement à allure réduite au
milieu de cette étouffante masse d'êtres que l'archiviste crut comprendre quelle était leur
destination : une grande tour sombre surplombait les autres bâtisses, semblant vouloir
s'élancer dans les cieux pour rejoindre le vide spatial. Sans doute s'agissait-il d'une sorte de
temple, car les guides la regardaient révérencieusement. De plus près, Randall vit que la tour
était en fait le prolongement d'un immense dôme de béton qui paraissait hors d'âge. La place
qui l'entourait était illuminée par d'immenses brasiers occupant les points d'intersection de
larges entrelacs dessinant visiblement ce que les archives nommaient un pentacle, souvent
associé dans le temps à la sorcellerie et autres magies noires. L'archiviste commença à se
demander s'ils n'étaient pas tombés sur un peuple adorant d'anciens démons d'avant le
cataclysme et s'ils n'allaient pas, comme dans ses lectures, être sacrifiés à l'occasion d'une
messe noire
Mais l'attitude du personnage les attendant sur les marches menant à la seule entrée
visible du dôme balaya ses fantasques rêveries. Il s'agissait d'un homme d'âge plus que mûr,
aux cheveux et à la barbe grisonnants, habillé dans une large robe grise et qu'il semblait tout
naturel d'appeler 'l'ancien'. Dès l'entrée des véhicules sur la place, il avait descendu les
marches et s'était approché, les bras écartés évoquant un père retrouvant ses enfants après une
longue séparation. Ses yeux brillaient d'une joie intense. Tout dans son comportement
indiquait le soulagement provoqué par l'accomplissement de l'attente de toute une vie, et
même de plusieurs vies
Sous l'injonction des trois guides, les plates-formes RG s'étaient arrêtées en ligne et
les passagers en étaient descendus. Le patriarche s'était alors rapproché et avait embrassé
avec vigueur chaque membre de l'expédition, tout en leur parlant sans discontinuer, comme
s'ils étaient capables de comprendre son babillage incessant. Mais il devait savoir que les
visiteurs ne comprenaient pas sa langue, car les guides, qui avaient vécu au campement les
trois derniers jours et avaient donc connu toutes les tentatives de communication
infructueuses, l'auraient sans doute interrompu si cela n'avait pas été le cas. En y prêtant
l'oreille, Randall remarqua que les paroles étaient déclamées rythmiquement, comme une
litanie longuement préparée Tout cela n'était donc qu'un rituel de bienvenue.
- Et bien, Randall ! Il semble que nous ayons été attendus.
La voix du superviseur avait arrêté l'ancien dans son monologue et celui-ci l'avait
longuement observé, l'il énigmatique.
- Je ne m'attendais certes pas à un accueil hostile, mais ce bonheur que ces gens
éprouvent à nous rencontrer dépasse toutes nos espérances Pour un peu, je jurerais qu'ils
nous prennent pour des dieux !
- Détrompez-vous, Cartis, le repris sèchement l'archiviste. Je crois qu'ils savent
exactement qui nous sommes, bien que la civilisation dans ce coin de la Terre semble avoir
régressé de manière phénoménale.
Le vieillard attendit que les deux hommes de l'espace aient fini de parler, puis il attira
l'attention de tous en levant les bras et leur présentant ses paumes ouvertes. Il se retourna
ensuite vers le dôme et partit dans cette direction d'un pas tranquille. Les voyageurs se
regardèrent un moment, indécis : devaient-ils le suivre ? Allait-il grimper les marches comme
sur une estrade et déclamer un sermon ? Les guides mirent fin à leur tergiversation en les
poussant : le message était clair, ils allaient pénétrer dans le temple, que Randall soupçonnait
n'être autre que le vestige de l'entrée de l'ancien abri.
Une fois à l'intérieur, les douze hommes s'exclamèrent en cur : le dôme était
complètement creux, et la cavité ainsi créée devait être de taille à peu près égale au hangar de
lancement du Vaisseau. La totalité de la paroi intérieure était recouverte de fresques
gigantesques à la beauté et au réalisme à couper le souffle. Elles représentaient des scènes
étranges, qui semblaient tout aussi vieilles que le dôme lui-même : ici, des hommes creusaient
le sol en un puits sans fond ; là, ils érigeaient un dôme protecteur multicolore qui protégerait
l'humanité contre des ténèbres menaçantes ; là encore, les bâtisseurs rentraient dans leurs
machines de métal et s'envolaient dans les cieux pour tenter de combattre le mal sur son
propre terrain ; plus loin, les images montraient les hommes restés sous terre prier pour le
salut de leurs frères disparus, bien protégés des éléments déchaînés par l'abri construit par
leurs héros ; finalement, les hommes ressortaient de leur trou, symbolisés par des corps mi-
humains mi-bestiaux, que l'archiviste interpréta par le fait que le chaos, malgré les
précautions prises, avait réussit à pénétrer l'abri Le haut du dôme montrait la terre
renouvelée, plus verte et belle qu'elle ne l'avait jamais été et les bâtisseurs redescendaient
du ciel à bord de leurs chariots de métal et de feu. En somme : leur retour avait bel et bien été
attendu !
- Communicateur ! tonna la voix de Cartis en se réverbérant en échos innombrables.
Appelez donc le campement et dites-leur que nous avons trouvé l'abri. Et San et Kervern ?
continua-t-il en s'adressant aux deux techniciens. Suivez-le vers les plates-formes. Vous
reviendrez avec deux marcheurs : j'aimerai bien en finir rapidement avec le recycleur pour
pouvoir nous consacrer entièrement à la redécouverte de nos amis
- N'est-ce pas aller un peu vite en besogne, superviseur ? demanda poliment le
communicateur, hésitant à exécuter l'ordre reçu.
- Vous voyez bien qu'ils nous accueillent à bras ouverts, non ? Faites donc ce que je
vous ai dit : tout ira bien.
Le jeune homme obéit, visiblement à contrecur. Il fut rapidement suivit par les deux
techniciens, de grands gaillards à la carrure musclée du moins pour un habitant de
l'espace ! Sans trop prêter attention à la dispute, Randall sortit son ordinateur portatif, et
appela d'une rapide succession de touches le plan de l'abri tel qu'il était dans les archives. Il
nota immédiatement que le dôme avait fait partie d'une construction plus vaste mais que le
reste n'avait pas survécu au temps. Il remarqua également que la tour ne faisait pas partie du
bâtiment originel, et qu'elle avait donc été rajoutée plus tard. Il repéra le lieu où se trouvait la
salle du recycleur, quelques kilomètres plus bas sous terre, et demanda à l'ordinateur de
calculer le chemin le plus rapide : la fatigue commençait à le prendre, et il ne se sentait pas
capable de lutter contre la pesanteur encore bien longtemps. Il fit signe aux autres de le suivre
en direction du centre du dôme, là où devait se trouver l'ascenseur. Tous, l'ancien le premier,
lui emboîtèrent le pas.

***

Tout c'était ensuite passé très vite Trop vite Ils n'avaient pas eu le temps de
réfléchir à leurs actes L'ascenseur n'était plus là, mais les elfes de la cité avaient construit
un escalier en colimaçon qui permettait d'accéder aux niveaux inférieurs. Ils avaient descendu
les marches pendant longtemps, mais quand ils en arrivèrent enfin au bout, le plan de Randall
indiquait qu'ils n'avaient parcouru que le tiers du puits Heureusement pour eux, le niveau
qui les intéressait était encore accessible, et la salle de recyclage presque intacte.
L'alimentation en énergie n'était plus opérationnelle, mais les pièces dont ils avaient besoin
satisfaisaient amplement les techniciens qui les avaient ausculté. Ils décidèrent alors de les
extraire de la machine à l'aide des deux marcheurs Et ce fut là leur erreur. Plus tard, quand
il eut tout loisir de réfléchir sur les événements, Randall ne pouvait nier qu'ils avaient agi
dans un empressement stupide. Il était normal, pour les habitants de la cité, de prendre pour
une agression le fait de défigurer et profaner un lieu devenu saint au fil des siècles.
Ils n'avaient pas tout de suite compris pourquoi l'ancien avait, à la vue de leur acte
impie, subitement perdu connaissance après avoir crié un mot inintelligible. Ils s'étaient dit
que l'émotion avait terrassé ses forces affaiblies par son grand âge. Ils l'avaient donc ramené
inconscient à la surface avec leurs trophées mechaniques. Dans leur euphorie provoquée par
la réussite de leur mission, et donc le sauvetage de toute la population du Vaisseau, ils
n'avaient pas réalisé l'importance que prendrait leur geste aux yeux des elfes : encouragés par
un comportement affable et serviable, confortés dans l'impression que tout leur serait accordé,
que tout leur était permis, ils avaient cru pouvoir agir à leur guise sans rien demander.
Mais une fois à la surface, l'ancien reprit peu à peu ses esprits, marmonnant dans sa
barbe quelques mots que les elfes s'occupant de lui accueillirent avec des cris de stupeur
Apparemment, il venait de leur révéler l'acte indigne perpétré par les étrangers. La foule,
jusqu'alors silencieuse, se mit à gronder alors que le message se répandait : les voyageurs du
ciel avaient trahi l'hospitalité qui leur avait été accordée Les regards se firent hostiles, et les
voyageurs commencèrent à comprendre que tout n'allait pas pour le mieux. Les pièces avaient
maintenant été chargées sur les plates-formes, et quand la foule commença à s'approcher,
avec des intentions qui n'avaient, cela était clair, rien de bienveillantes, ils se replièrent, sans
vraiment comprendre ce qui arrivait, vers leurs véhicules. En quelques instants, ils étaient tous
à bord, et les engins se propulsaient à travers la ville, passant entre deux bandes d'elfes
maintenant clairement en colère, crachant des insultes aux fuyards et tentant de les arrêter.
Mais tenter d'arrêter une plate-forme RG en pleine vitesse avec pour seul outil ses mains nues
relève de l'absurde, et les voyageurs eurent tôt fait de rejoindre le campement et de préparer la
navette pour un retour précipité. Fort heureusement, tous les elfes qui étaient encore au
campement ne savaient pas ce qui s'était passé, et ils n'entravèrent donc pas les démarches
affolées des techniciens autour de l'oiseau de métal.
Ils avaient réussit à décoller avant que les premiers elfes en colère n'arrivent au
campement. Mais, à la vue des enregistrements automatiques, Randall était certain
d'apercevoir des ombres ailées en grand nombre se détacher du ciel nocturne, et des
silhouettes sombre arriver par voie de terre en brandissant des torches Il n'osait pas
imaginer ce qui leur serait arrivé s'ils n'avaient réussit à partir avant leur arrivée. Une chose
restait pour lui sûre : ils auraient du prendre la peine d'essayer de se faire comprendre au lieu
de s'enfuir, acte qui ne pouvait être pris que comme preuve de culpabilité, quelle qu'ai été la
faute. Mais, à bord du Vaisseau, il réalisa que, même si cette expérience s'était soldée par une
impossibilité de communiquer, il restait sur la planète bien des sites où des abris avaient été
construits, et donc bien des peuples qui attendaient leur retour Pour les essais suivants, ils
n'auraient plus à s'approprier quoi que ce soit, et ils pourraient donc se consacrer à la
découverte de ces autres hommes si différents.
Bientôt, le peuple des étoiles et le peuple de la Terre pourraient à nouveau marcher
côte à côte

 

FIN