CONFUSION

 Où suis-je ?
 Ou plutôt qui suis-je ? Les vêtements que je porte me sont étrangersÖ je níen ai jamais vu de pareils. Je suis de plus harnaché díun équipement étrange dont je ne connais rien de líusage. Et surtoutÖ surtoutÖ Que fait ce fusil dans mes mains ? Je ne saurais même pas míen servirÖ Et pourquoi míen servirais-je ?
 Où suis-je ?Ö
 A mes pieds síétale une herbe boueuse, que bien du monde vient de piétiner. A quelques pas de distance ma vision síestompe dans un épais brouillard, mais je distingue à travers les nappes aveuglantes quelques ombres míindiquant que je ne suis pas seul en ces lieux. Elles restent debout, immobiles, et semblent attendreÖ mais quoi ?
 Où suis-je ?
 Progressivement, je prends conscience de bruits míenvironnantÖ Des cliquetis et froissements me parviennent des alentours proches, míindiquant que les ombres autour de moi sont nombreuses. Díaprès les sons quíelles produisent, elles doivent être équipées díune manière semblable à mon accoutrement. Au loin éclatent quelques détonations étouffées par la distance et le brouillard. Quelques cris jaillissent également de la même direction, sans que je puisse déterminer síil síagit de cris de colère, díangoisse, de douleur, de rageÖ de terreur peut-êtreÖ Malgré líétouffement du brouillard, tout résonne comme dans une chambre nueÖ
 Où suis-je ?
 Une légère brise commence à souffler, entraînant avec elle la brume en un mouvement lent et monotone. Je suis le déplacement à pas circonspectsÖ et míarrête. Pourquoi bouger ? La violence règne au loin, je líentends. Ici, tout est calme, serein, étouffé. Les ombres, elles, sont restées immobiles. Autant les imiter. Le vent forcit, le mouvement de la brume síaccentue, et je remarque que mon cúur bat anormalement vite et fort. Il me faut me calmer. Quelques respirations profondes níy font rien, bien au contraire : les battements se font plus forts, plus résonnants, plus oppressantsÖ Líair me manque, je míaffole, míétouffe ! Il me faut me calmer !
 Où suis-je ?
 Où suis-je ?
 -OU SUIS-JE ?
 Le hurlement mía échappé sans que je puisse le réprimer ni le contrôler. Tout tourne autour de moi, me déséquilibre et je tombe à genoux sur le sol boueux. La puissance des battements de mon sang dans mes veines est maintenant telle que jíai líimpression que mon crâne va éclaterÖ Síagit-il vraiment de mon cúur ? Un trop plein de salive dans ma bouche me fait momentanément oublier cette questionÖ Dans mon affolement, je níarrive pas à en avaler la moitié, le reste síécoule au sol de par ma bouche ouverte. Sous la douleur, je commence à gémir, et je me prends la tête à deux mains, en espérant atténuer ainsi ce mal insoutenable. Les battements ralentissent tout à coup, et perdent également en force, devenant par la même occasion audible sans douleur. Il me faut savoir où je suis, sans quoi je ne parviendrai jamais à me calmerÖ En quelques derniers battements sourds, un sabot frappe le sol juste devant moi. Je pourrais le caresser rien quíen tendant le brasÖ Mon cúur níétait finalement pas seul en causeÖ
 Le sabot est prolongé par une patte équine massive, velue et fumante. A líévidence, la créature à laquelle elle appartient vient de fournir un effort prolongé, et sa sueur síéchappe au contact du froid ambiant en vapeurs se dispersant dans la brume mouvante. La bête elle-même est épaisse, ses muscles jouants sous sa peau en de complexes entrelacs. Elle est magnifiqueÖ Elle est monstrueuseÖ Ses yeux rouges et sans pupille me toisent avec intérêt ; sans doute prendrait-elle plaisir à míécraser sous ses lourds sabots. De ses nasaux fusent des volutes de vapeurs condensées par le froid, tout comme sa sueur. De la gueule écumante saille le reflet métallique díun mors, auquel est attachée une large lanière de cuir sombre ornée de clous díargent qui longe les flancs de la bête jusquíà une lourde selle, noire elle aussiÖ Si large quíelle tient plus de líarmure équestre que de la selle.
 Jíoublie bien vite la selle, le destrier de cauchemar, les battements désordonnés de mon cúur, et même mon affolementÖ Sur la monture se tient un homme. Son allure est grandiose, éclatante, éblouissanteÖ Il est presque entièrement recouvert de son armure, véritable miroir aux multiples facettes réfléchissant une lumière et des images ne provenant pourtant pas de son entourage. Seul la tête du cavalier níest pas recouverte, visage à la blancheur éclatante entouré de líaura cuivrée de sa rousse chevelure. Son expression est fermée, indéchiffrable, mais je sens derrière ce masque une sorte díhostilité. Son regard fascinant descend sur moi en me clouant sur placeÖ Mon corps ne míappartient plus. Ses pupilles díun brun rougeoyant, faisant écho à sa crinière, me fixent comme si je níétais quíun simple chien de garde, un serviteur de basse classeÖ Et sans doute est-ce le casÖ Je me suis trompé, ce níétait pas de líhostilité : juste de la condescendanceÖ
 Après tout, qui suis-je ?
 Je me sens soudain bien misérable face à cette divine apparition, et mon corps, sans doute influencé par ce superbe cavalier, se relève de lui-même. Je sens que díune manière ou díune autre cet être supérieur me sonde líesprit et en lit tout le contenuÖ Sans doute y voit-il plus que je níy puis lire moi-mêmeÖ Peut-être sait-il, lui, quelle est mon identitéÖ
 Oui, qui suis-je ?
 Et lui-même, quíest-il donc ?
 Mais je níose lui adresser la parole afin de lui poser les questions qui me rongentÖ Je níose ne serait-ce quíémettre un son de ma bouche toujours grande ouverte. Je níen ai pas le droit. Je sens que cíest interdit, que ce serait sacrilège. Et ces lieux au silence résonnant ne síy prêtent pas.
 Ou suis-je ?Ö Que cache donc ce brouillard ?
 Le chevalier tourne son regard en direction du lointain chaos auditif évoquant une bataille. Son visage síanime soudainement, laissant apparaître que la frustration et líexcitation le rongent. Quelques instants passent, uniquement remplis de sons violents, díexplosions étouffées, de cris difficilement identifiables semblant nous parvenir de derrière une cloison. Le noble cavalier laisse un soupir nerveux síéchapper de ses narines et sa monture fumante, comme poussée par un ordre du chevalier la chevauchant, se remet en mouvement. Lentement, destrier et cavalier disparaissent derrière le voile mouvant de la brume, suivant la direction du vent. Les battements sourds des sabots, faisant écho à mon pouls actuel, síestompent définitivement en même temps que les derniers reflets díoutremonde de líarmure étincelante me parviennent à travers les nappes grises. Mon air imbécilement béat commence à míénerver ; je referme ma bouche dans un claquement sec. Mon affolement a disparu, mais la confusion est toujours là, obsédante, frustranteÖ
 Trouverais-je donc des réponses aux questions qui míabrutissent ?
 Je remarque soudain que le brouillard, durant mon face-à-face avec líhomme de lumière, síest légèrement dissipé. Les ombres proches me sont maintenant clairement visibles, et les informations que mon ouïe míavait procurées me sont confirmées par ma vue : toutes celles que je peux distinguer sont équipées à mon imageÖ A moins que ce ne soit le contraireÖ Peu importe. Leurs visages, malgré la clarté allant síaméliorant, restent flous et brumeux, comme síil síagissait réellement díombres anonymesÖ Des fantômes à líidentité effacéeÖ Tout comme moiÖ Sans doute leur apparais-je moi-même comme un soldat sans nom ni visage engagé dans une guerre à laquelle je ne comprends rien, une guerre qui míest étrangèreÖ
 En tout cas, nous sommes nombreux : je peux clairement apercevoir une cinquantaine de mes compagnons díarmes, et nombre díautres ombres míapparaissent de toute part au travers des volutes síéclaircissant peu à peu. Tous, sans exception, regardent dans la même direction : là où, je le sais, je le sens, nous allons bientôt devoir nous élancer et combattreÖ Mais contre qui ? Ou contre quoi ? La question du lieu où je me trouve míapparaît de plus en plus triviale ; je me trouve sur un champ de bataille, et je vais prendre part à un combat auquel je ne veux prendre partÖ Je ne sais même pas pourquoi jíy prendrai partÖ
 Qui suis-je ?
 Un hennissement díune puissance surnaturelle retentit et résonne sourdement. La moindre parcelle de mon corps ressent ce cri animal comme un signalÖ non : un ordre de marche, ne souffrant aucune réticenceÖ Tous en même temps, instinctivement, nous avançons. Lentement. Comme si le temps níavait quíune minime importance dans cette bataille incompréhensible. Le sol, jusquíalors díune platitude sans défaut, commence à síincliner légèrement, et la courbe quíil dessine suggère quíil síagit díune cuvette aux dimensions colossales. Du fond présumé du creux nous parviennent toujours des bruits de combats féroces. La brume síest maintenant suffisamment dissipée pour que le régiment dont je fais partie me soit entièrement visibleÖ Bien que le nombre de soldats fantômes semble trop important pour que je me hasarde à une estimation précise, il míapparaît certain que nous sommes plusieurs dizaines de milliers à nous avancer sans hâte sur cette maudite pente boueuse. La nappe de brouillard continue de se retirer, lentement, et le fond de la combe nous apparaît progressivementÖ Je míarrête, je ne puis faire autrementÖ
 Je rêve ! Cela ne peut être que cela !
 Le spectacle qui síoffre à mes yeux ébahis ne peut être réelÖ Au beau milieu de la vallée trône une construction de pierre et deÖ de verre ou de lumière - je níarrive pas à me décider sur ce pointÖ Elle est superbe ! Majestueuse !Ö IrréelleÖ Ou plutôt bien trop réelle. Elle dégage une lumière siÖ vivante - je ne puis trouver de meilleur terme ñ que tout alentour semble síestomper et perdre de sa substance. Elle semble avoir été taillée díune pièce dans une montagne de roche blanche, puis avoir été placée ici de manière à ce quíelle paraisse avoir toujours été là. Plus je líobserve, plus un mot síimpose à mon esprit : CathédraleÖ De la pierre saillent des statues, des figures, des formes, représentant à la fois des êtres à la beauté parfaite et des créatures monstrueuses, horribles, terrifiantes. Je míétonne de pouvoir apercevoir le moindre détail de ces effigies à la distance où je me trouve. Díimmenses vitraux se découpent des façades massives, illuminés de líintérieur par une lumière pure díune intensité et díune réalité palpable donnant aux alentours un aspect vaporeuxÖ Aucun doute, rêve ou réalité, ce monument est la raison à ma présence en ces lieux, quels quíils soient. Même la dénomination de cathédrale me paraît trop faible, mais rien de plus approprié ne me vient à líesprit.
 A grande peine, je míarrache à la contemplation de cette perfection architecturale pour regarder une autre source de lumière venant díapparaître à la limite de ma vision. Il síagit du cavalier de tout à líheure, apparu au devant de notre régiment et se campant sur sa monture à la manière díun général devançant ses troupesÖ Cíest díailleurs ce quíil doit être effectivement. La lumière irradiant de son armure et de son être tout entier rappelle líillumination de la cathédraleÖ En fait, il míapparaît maintenant que sa lumière níest sans doute quíun pâle reflet de la réalité du monumentÖ
 Son visage se tourne soudain vers moi, et son regard, plein díune furieuse désapprobation, me fait líimpression díune flamme nue toute proche que je fixerais. Je ne peux pourtant détourner le regardÖ Du coin de líúil, je míaperçois que le reste du régiment a continué sa route alors que je míétais arrêté en pleine contemplation. Mes jambes, sans doute contrôlées par le lumineux cavalier, me portent en quelques pas rapides au point où le régiment síest arrêté, là où une place vide dans les rangs parfaitement ordonnés mía été réservée. Líattention du cavalier se détourne enfin de moi, et le contrôle de mon propre corps míest rendu.
 Le brouillard síest complètement retiré du vallon, mais il forme autour du paysage nocturne une muraille de grisaille donnant líimpression que rien en dehors du champ de bataille centré sur la cathédrale níexiste. Notre univers est clos. De líautre côté du bâtiment, sur líautre versant, une armée se tient prêteÖ Malgré la distance, comme cíétait le cas pour les statues de la cathédrale, je peux distinguer le moindre détail de chacun des soldats composant cette troupe que nous allons sous peu affronter. Il me semble quíils sont en tout point semblables à moi-même et mes intangibles compagnons díarme, mais une impression de ténèbres et díhostilité les entoures, leur donnant un air féroceÖ Une réaction instinctive me pousse à garder mon fusil prêt à tirer. Une petite partie de ma conscience remarque au passage que, bien que je níaie jamais tenu díarme entre mes mains, je sais parfaitement comment me servir de celle que je tiens entre mes mainsÖ Ou bien peut-être ce souvenir de níen avoir jamais tenu est-il une illusionÖ
 Non, cette impression est trop fortement encrée en moi pour être factice : cíest ce monde fermé qui níest quíillusions ; je suis en train de rêverÖ Mais cela semble si réelÖ
 A la tête de líarmée adverse se tient díune manière analogue à notre général un cavalier en armure. Mais celui-ci semble être le parfait contraire du chevalier de lumière. Son armure, au lieu de refléter une lumière venue díailleurs, ne renvoie que des ténèbres, absorbant la lumière fantomatique et faisant paraître ses alentours proches parfaitement irréels.
 Un nouveau hennissement retentit, signal que je comprends immédiatement comme étant celui de la charge. Le moindre de mes muscles réagit immédiatement à cet appel impérieux et je míélance, à líinstar de tous les membres de mon régiment, à líassaut de la combe, bien malgré moi. Tout devient flouÖ Une rage que je ne comprends pas míenvahit à líégard de cette armée de ténèbres, là-bas, de líautre côté. Leur existence même me paraît sacrilège, et díautant plus leur présence en ces lieuxÖ Ils profanent ce sol sacré, que seul notre seigneur de lumière peut fouler sans en ternir la beautéÖ
 Je brandis mon fusil : je suis à portée de tir pour faucher de mon juste courroux les impies qui me font face. Autour de moi, líair crépite de détonations et díéclairs blancs. Mes frères de combat ont également commencé à faire feu : bientôt nous pourrons nous réjouir au-dessus des cadavres encore fumants des ennemis de notre maître, de ces abominations souillant ces terres saintes, ces agents des ténèbresÖ
 Une part de moi se révolte, sans quíelle puisse se faire entendre de mon corps en fureur. Díoù me viennent ses pensées manichéennes ? Díoù me vient cet amour si soudain envers le cavalier de lumière et ces lieux oniriques ? Díoù me vient cette connaissance si approfondie du fonctionnement de mon arme ? Et díoù me vient cette haine si profonde de ces ombres de líautre versant ? Je ne sais même pas ce quíelles sont !
 Je ne sais même pas qui je suis !
 Je me sens manipuléÖ Simple marionnette sans souvenirs, sans volontéÖ Ni passé ni avenirÖ Jíespère que cíest un rêveÖ Ma vie doit être ailleurs : elle ne peut se résumer à cela ! Quelque chose au fond de moi hurle que je suis bien plusÖ Mais je ne sais plusÖ
 Qui suis-je ?
Indifférent à mes états díâme, mon corps a continué sa charge effrénée, toujours convaincu quíécraser ces profanateurs est son seul but díexistenceÖ Mon fusil crache sa mort sur la masse díombres chargeant elles aussi. Sans doute se retrouvent-elles également contrôlés par ces cavaliers aux desseins mystérieuxÖ Cette pensée semble réveiller líentité qui me contrôle, et je sens le peut de volonté qui me restait, à peine suffisante pour penser par moi-même, vaciller comme une flamme dans une tempêteÖ Je ne peux lutterÖ
 CourirÖ TirerÖ Sauter par-dessus le cadavre díun compagnon tombé aux champs díhonneurÖ Tirer encoreÖ et encoreÖ Courir sans síarrêterÖ Courir sans prêter attention aux sifflements des traits lumineux passant à une distance ridiculement courte de mon crâne ou de mes membres, aux bourdonnements de mon sang pulsant à grands coups rapides dans mes veines, aux détonations éclatant au milieu de notre formation, aux gerbes de terre et de boue volant dans toutes les directions lorsquíun projectile síécrase au solÖ Seule la destruction de líennemi compte, son éradication, sa disparitionÖ
 La distance séparant les deux armées síamenuise rapidementÖ Bientôt nous arriverons au corps à corpsÖ Une excitation morbide síempare de tout mon êtreÖ Quelque part, dans mon esprit ou dans mon corps, peu importe, quelque chose tremble de peurÖ Sur la droite, la Cathédrale síélève, majestueuse dans sa lumière trop réelle. Les deux armées semblent líéviter, mais cíest normal après toutÖ Comment pourrait-on risquer díendommager une telle perfection ? Même les abominations que nous allons bientôt détruire sans hésitation ne peuvent être indifférentes à une telle pureté !
 Un nom plus adéquat que Cathédrale míéclate à líesprit comme une vérité céleste qui me serait révélée dans une explosion de lumière : Sanctuaire ! Ce lieu est un Sanctuaire, LE SanctuaireÖ de paix, de joie, de bonheur, de lumière, díapaisementÖ díoubliÖ Il est normal que nous nous battions pour le défendre contre ces hordes démoniaques tentant de síen emparer pour le souiller ! Dans un cri de rage, je foudroie une ombre barbare à une vingtaine de pasÖ Cíétait mon dernier tir, la distance níest plus suffisante, et je jette le fusil au sol, inutile dans le futur affrontement, pour tirer des replis de mon harnachement une épée díargent dont je níavais jusquíà maintenant pas même soupçonné líexistenceÖ
 Alors que je míavance vers la mêlée, un tir sournois me transperce le bras gaucheÖ Je hurle, díindignation ou de douleur, peut-être des deux. Mais la blessure mordante me fait à peine tituber sur deux pas : je continue ma marche inexorable, se transformant rapidement en charge vengeresse. Encore quatre enjambées et je suis suffisamment proche pour asséner de ma lame un coup furieux et empaler ainsi une ombre ennemie. Comment ai-je pu penser il y a quelques temps quíelles pouvaient avoir quoique ce fut en commun avec nous et notre combat ? Comment ai-je pu croire que cette juste aversion, cette juste haine, ne míétait inspirée que par des mensonges que míaurait imposé líâme de notre saint guide ? Comment ai-je pu ne pas comprendre la raison à ma présence en ces lieux ? Comment ai-je pu douter de la réalité de ce monde ? Comment ai-je pu croire en ce que jíai cru? Comment ai-je pu ne pas croire en ce que jíai vu et ressentit ?
 Par coups nets et précis, jíenvoie un par un mes ennemis díombres rejoindre le monde de ténèbres dont ils sont issus. Ils ne viendront plus souiller la pureté lumineuse de ce SanctuaireÖ
 Une douleur atroce éclate soudain en moi, síengouffrant dans mon corps par mon ventre. Ma rage et ma soif de vengeance níy font rien, je ne puis lutter. Je tombe à genou, regardant béatement mon ventre qui me semble fait uniquement de douleurÖ Une large balafre sanglante míouvre les entrailles, les lèvres déjà écarlates de ma tunique bordant la blessure fatale me semblent chuchoter les bienfaits de la mort, du néant, de líoubli bien méritéÖ Mais je me révolte. Je níai pas le droit díabandonner ma tâche en ces lieux saints, le travail níest pas terminéÖ
 Je continue à tomber cependant, mon corps toujours aussi sourd aux imprécations de mon espritÖ Ma volonté nía aucun pouvoirÖ La douleur continue à grandir et mes forces à míabandonner. Ma vision síassombrit progressivement, virant au rougeÖ Rouge sangÖ Une fois à genou, mon corps continue sa chute en basculant vers líavantÖ Mon visage va finalement síécraser dans la boue après avoir décrit un arc de cercle parfaitÖ

 Mais au lieu des ténèbres dans lesquelles je míattendais à être plongé, je me retrouve soudain agressé par une lumière vive. Je rouvre précipitamment mes paupières  closes quelques instants auparavant, pour contempler un décor incompréhensibleÖ
 Où suis-je ?
Je suis allongé dans un lit, bordés par des draps à la blancheur douteuse. A mon côté, enroulé dans les replis du tissu, une forme est allongée, je ne la reconnais pas. La pièce dans laquelle je me trouve est petite et ensoleillée par la lumière vive pénétrant par une large fenêtre. Des meubles en bois recouvrent les murs, et une porte ouverte me laisse apercevoir un couloir sombre flanqué de portesÖ
 Où suis-je ?
 En sursaut, je me redresse. Un gémissement inhumain retentit, alors quíun chat qui devait être blotti au creux de mes jambes est réveillé en sursaut par mon mouvement brusque et se précipite au bas du lit pour disparaîtreÖ Les draps sont trempés de ma sueur, et je baigne moi-même dans une mare de souffranceÖ Un miroir sur la porte díune armoire me renvoi mon reflet, homme au torse nu haletant de confusion et de douleurÖ Une large marque rouge me balaie le ventre, là où líon mía éventré quelques instants auparavant. Mon bras, lui, porte encore la cicatrice du tir impieÖ La forme allongée paisiblement à mes côtés émet un gémissement, sans doute en réaction à mon geste brusque, et se retourne avant de ne plus bouger, toujours plongée dans son sommeil. Son visage féminin míest maintenant visible, mais je ne la reconnais toujours pasÖ Je ne reconnais rien de ce qui míentoureÖ Ce monde níest pas le mien !
 Où suis-je ?
 Où suis-je ?
 -OU SUIS-JE ?
 Je níai pu réprimer ce cri angoissé, ma respiration et mon pouls síaffolent, tout recommenceÖ